Chaque année, Les Rencontres Chaland reçoivent un ou des invités prestigieux, auxquels plusieurs expositions sont consacrées…
LOUSTAL : TRANSPARENCE ET LUMIERE
Jacques de Loustal, dit Loustal, est né le 10 avril 1956 à Neuilly-sur-Seine. Il est à la fois peintre, illustrateur et auteur de bande dessinée. Très jeune, il s’intéresse au 9e art puisqu’il publie ses premiers dessins dans le fanzine lycéen de Sèvres, Cyclone, édité par le dessinateur Tito. Après une formation d’architecture aux Beaux-arts de Paris, Loustal place ses premières illustrations en 1977 dans Rock & Folk, où il rencontre un certain Philippe Paringaux avec qui il fait son premier album de bande dessinée, New-York Miami (1980), puis Clichés d’amour (1982) aux Humanoïdes Associés. C’est qu’entretemps, il était entré dans Métal Hurlant, puis dans (À Suivre) et L’Écho des Savanes. En 1983, il rencontre les éditeurs-jumeaux bruxellois Daniel et Didier Pasamonik des éditions Magic-Strip et y publie Zenata-Plage (1983), un album où il met au point cette poétique du texte et de l’image qui sera la sienne tout au long de sa carrière. Il n’arrive pas à cet endroit là et à ce moment-là par hasard : la bande dessinée se découvrait alors « adulte » et cette maturité lui avait permis de proposer une démarche spécifiquement artistique inspirée par des précurseurs récents . « Cela aurait été dix ans plus tôt, raconte Loustal, je n’aurais jamais pu me mesurer aux grands maîtres qui faisaient des séries de bande dessinée pour les adolescents. La bande dessinée devenait beaucoup moins codifiée qu’à l’époque de “La Patrouille des Castors”». Le premier numéro de Métal est un choc. Il y voit Moebius que tous les dessinateurs de ce moment ont en ligne de mire. Il y avait Druillet aussi : « Même s’il n’apparaît pas du tout dans mon dessin, il a eu une très grande influence dans mon travail», nous dit Loustal.
De fait, jusque là vouée à l’anecdote, avec ces deux artistes-là, la bande dessinée se fait plus contemplative, plus artistique, plus picturale. Bilal ou Schuiten émergent à la même époque.
Dès lors, pour Loustal, les albums s’enchaînent toujours nimbés de lumière qu’ils soient issus d’horizons lointains, d’univers littéraires, d’ambiances musicales ou du miroitement des gris des paysages du Nord. Il produit des carnets de voyage, des estampes, des illustrations, des affiches, des dessins de presse et bien entendu des bandes dessinées qu’il cosigne avec son complice Philippe Paringaux, mais aussi avec des écrivains comme Jerome Charyn, Jean-Luc Coatalem, Dennis Lehane, Tonino Benacquista, ou encore son complice dessinateur et illustrateur Jean-Claude Götting, le plus souvent chez Casterman. Il illustre aussi Simenon, un de ses auteurs-fétiches, Pierre Mac Orlan, un grand voyageur comme lui, Boris Vian, Tennessee Williams, Jean-Patrick Manchette, Jean-Luc Fromental…
Techniques et influences
Dès les premières années, Loustal met au point la technique et la gamme chromatique qui le caractérisent. Ses inspirations vont de David Hockney à Matisse, en passant par les illustrateurs allemands Max Beckmann, Otto Dix, George Groz, qui lui apprennent la déconstruction des perspectives, jusqu’à l’art africain dont les couleurs franches l’inspirent. Hergé, avec sa dimension affective d’une grande clarté liée à sa lecture d’enfant, l’influence beaucoup également : « La base de ma technique, c’est l’encre de chine, les couleurs transparentes de l’aquarelle et de l’écoline. C’est à partir du moment où j’ai été au Maroc que j’ai vraiment commencé à travailler l’aquarelle que j’utilisais en tubes, avec beaucoup plus de finesse dans les pigments. Après, ayant étudié ces ressources graphiques, ces différents styles, comme je ne suis pas un auteur complet et que je n’écris pas mes scénarios, je me suis investi dans la forme et dans les variations graphiques possibles. Je ne suis pas quelqu’un qui raconte ses propres histoires et qui utilise juste le dessin comme un vecteur pour raconter ce qu’il veut. Pour moi, au contraire, le dessin est une fin.»
Il ne le réserve pas qu’à la couleur : le noir et blanc aussi fait partie de ses champs d’expérimentation comme dans ses imposants fusains que l’on entraperçoit dans son ouvrage Atraverso la Città (2013, éditions Tricromia) : «j’ai utilisé cette technique pour représenter ces bâtiments, ces forts de Vauban, ces constructions militaires un peu rouillées, ces phares, ces volumes de béton etc. Je les dessine avec un bottin sous le coude, à main levée, en suspension au-dessus du dessin, comme dans une calligraphie. Le fusain utilisé de cette manière sans jamais l’estomper a une énergie incroyable qui se rapproche du dessin à la plume, sans le côté laborieux de cette technique. Il conserve la légèreté du geste proche de l’aquarelle. » C’est effectivement superbe. Le dessin, la couleur, certes, mais la matière et le volume aussi : «Je pense être un sculpteur frustré ! Cela me paraît tellement imposant de créer une forme à partir d’un tronc d’arbre, que je préfère me limiter à inventer des sculptures que je peins, avec une sorte de relief !» Il expérimente les supports.
Son travail de photographe est moins connu. On en trouve pourtant la trace dans les petits livres qu’il réalise pour les éditions Alain Beaulet : «Quand je me promène, dit-il à propos d’un livre qu’il a cosigné avec Depardon, je vais habituellement dans des lieux que je ne connais pas, je suis en perception maximale.» Ces travaux-là, il les transforme parfois en collages, façon Stefaan De Jaeger ou David Hockney, où il fait passer la photographie, cet art de l’instant suspendu, dans une composition difractée, à la manière cubiste.
Des images qui racontent
Si Loustal est aussi important aujourd’hui, c’est parce que depuis le début des années 1980, il a apporté à la bande dessinée une touche bien à lui héritée de ses arts de référence dont le point commun est la narration. Car, que ce soit dans ses illustrations, ses photos ou ses tableaux, ses images “racontent” : «Très souvent, dit-il, je fais des petits dessins et en regardant plusieurs de mes images, je crée une image qui retranscrit une atmosphère, une petite histoire, un personnage, une sorte de micro-fiction.» C’est pourquoi une fois captées, les images de Loustal restent inscrites dans nos mémoires, leurs personnages s’animent, continuent à bouger… Elle nous font rêver.
DIDIER PASAMONIK photo Wikipedia/Selbymay